Bulgarie (1976)
Cette fois ce ne sera pas un reportage d’actualité en couleurs numériques, mais quelque chose d’un peu plus « ancien »… Avant tout un grand merci à Raphaël Sant qui a eu la patience de scanner mes négatifs et d’améliorer certaines vues qui présentaient des taches, rayures et autres défauts. Merci aussi à Philippe Morel qui a rafraîchi ma mémoire sur certains détails de ce voyage.
Nous sommes en août 1976. Avec Philippe nous sommes partis tout le mois en Europe grâce à la carte Interrail, ainsi qu’en Turquie d’où nous avons poussé une pointe en Iran jusqu’à Téhéran. C’est maintenant le retour et nous avons prévu un passage par la Bulgarie pour aller voir la dernière ligne à voie étroite des Balkans encore régulièrement exploitée en traction vapeur. Après plus de trois semaines en vadrouille, nos réserves de francs, de dollars et de pellicules photo ont considérablement baissé et il nous faut faire très attention au budget pour terminer le mois. Mais à cette époque on n’entre pas comme on veut dans les pays du bloc communiste : soit on reste quelques jours et on doit changer obligatoirement l’équivalent de 10 dollars par jour (l’équivalent de 8 euros aujourd’hui), ce qui représente une somme importante pour nos faibles finances, soit on établit au passage de la frontière un visa de transit valable 48 heures seulement, sans change obligatoire. C’est donc cette dernière option que nous choisissons car nous n’avons guère les moyens de faire autrement…
Partis le 21 août au soir d’Istanbul-Sirkeci, nous franchissons la frontière bulgare dans la nuit et en passant par Svilengrad, Dimitrovgrad et Plovdiv nous débarquons le 22 au matin à Sofia.
En arrivant à destination à la gare de Tcherven-Bryag, l’après-midi est déjà bien avancée et, comme nous n’avons pas encore mangé, nous nous dirigeons vers un kiosque sur la place de la gare. Il n’a pas grand chose à vendre mais nous achetons quand même quelques biscuits et du chocolat. Au moment de repartir pour déguster cette maigre pitance, surprise ! Nous sommes encadrés par deux policiers qui, d’un ton pas vraiment aimable, nous demandent : « Pasport ? Dokument ? » Puis ils nous font signe de les suivre et, même sans comprendre la langue bulgare, il n’y a pas à hésiter. Nous voici au commissariat, dans une pièce lugubre peinte en vert, sous les portraits jumelés du président bulgare Todor Jivkov et du secrétaire général du parti communiste soviétique Leonid Brejnev : un sacré duo ! Pendant une bonne heure les policiers téléphonent, nos passeports en main où ils examinent les dizaines de tampons exotiques qui en ornent les pages. Dans le bureau d’à côté, on entend taper à la machine. Puis un chef arrive et nous dit « Ah, Frantsouski… Giscard d’Estaing… Ami Bulgarie ! ». Une fois nos identités vérifiées, aucune charge ne peut être retenue contre nous, on nous rend nos passeports et on nous montre la porte... Nous ne saurons jamais ce qui nous a valu ce charmant accueil, sans doute le simple fait d’être visiblement des étrangers dans une petite ville où aucun touriste ne vient jamais se perdre !
Nous sommes venus à temps à Tcherven-Bryag, car avant la fin de l’année les premières BB diesel Faur série 76 sont livrées et vont reprendre tout le service en 1977. Les grosses 151T sont garées et la 605.76 va rester encore employée au préchauffage des rames à la vapeur jusqu’à l’hiver 1984-85. Aujourd’hui les 609, 610, 611 et 613 sont à Dobrinichte, seule la première étant en état de marche pour assurer de trop rares trains spéciaux, alors que la 615 est exposée à l’université des transports de Sofia. Quant à la ligne Tcherven-Bryag - Oryahovo elle a été fermée en 2002 à l’occasion d’un plan d’économie des BDZ. Son infrastructure a été endommagée par une crue du Danube en 2006 et sa voie en partie démontée par des voleurs de métaux. Quant aux locomotives diesel qui ont mis fin à la traction vapeur, elles ont été pour la plupart vendues au chemin de fer minier du Rio Turbio, en Patagonie argentine.
Il sera temps de repartir vers Mezdra et Sofia, mais une dernière péripétie va émailler notre départ. Au guichet, nous nous rendons compte avec horreur qu’il ne nous reste pas assez de Leva pour payer nos deux billets ! Il n’est pas certain de trouver un bureau de change dans cette petite ville à l’écart des courants touristiques et nous ne pouvons pas nous y attarder car la durée du visa de transit approche de son terme... Derrière nous une queue de voyageurs se forme et des jeunes recrues de l’armée bulgare se bousculent. Ils comprennent vite notre détresse et en quelques instants ils se cotisent pour nous donner les quelques précieux Leva qui nous manquent ! Il reste encore à Philippe quelques paquets de Gauloises que nous avons amenés avec nous, non pas pour les fumer mais pour les offrir aux cheminots et aux personnes qui nous ont aidés tout au long du voyage, car ce cadeau typiquement français est toujours apprécié. Les paquets sont distribués aux joyeux bidasses et nous nous quittons avec de grands souhaits pour l’amitié franco-bulgare !
Reportage José Banaudo
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